Sur un pilier du portail de l'ancien château de Balagny, une plaque en marbre rappelle que ...
ICI EN 1623
CHEZ M. DE MESMES
GROTIUS
COMMENÇA SON IMMORTEL OUVRAGE
DE JURE BELLI AC PACIS
UN DES FONDEMANTS DU DROIT INTERNATIONAL MODERNE
SOCIÉTÉ D'HISTOIRE DU PROTESTANTISME, 1924
Mais, qui était Grotius ?
...d'après une note de M. Hardouin, conseiller à la cour d'appel de Douai, déposée sur le bureau du Congrès géographique, en 1875 par M. Hayaux du Tilly, sur le séjour de Grotius au château de Balagny, en 1623, et sur la réception faite à Senlis, par Louis XIII, à l'auteur du Droit de la paix et de la guerre, alors ambassadeur de Suède près ce prince.
Hugo de Groot (Grotius) à Balagny et à Senlis (1623-1635).
Disciple de Juste-Lipse, Grotius, dès la plus tendre adolescence, était passé maître en linguistique. Il préludait par la critique et l'édition de textes obscures et difficiles entre tous, aux prodiges d'une érudition en fait de littérature sacrée ou profane, avec laquelle ne rivalisa qu'à peine celle de ses contemporains les plus illustres. Ses travaux d'historien national et de légiste eussent d'ailleurs suffi par eux-mêmes à jeter un vif éclat sur son nom, comme à honorer sa patrie. Il ne devait, hélas ! y recueillir d'autre rémunération de ses labeurs, de ses services, de ses hautes vertus civiques et de sa gloire, que l'ostracisme le plus implacable, et que les rigueurs de l'exil, après l'évasion miraculeuse qui avait mis fin à une détention décrétée perpétuelle par les juges improvisés devenus les aveugles instruments des vengeances d'un parti politique.
Prononcer ce nom de Grotius, c'était citer d'avance le livre qu'il rappelle et dont la notoriété n'est pas moindre, à savoir : le traité, si justement fameux, intitulé : Du droit de la paix et de la guerre.
De l'auteur et de l'ouvrage, Voltaire a dit quelque part : "Grotius m'a souvent ennuyé, mais il est très savant."
Les causes du séjour d'Hugues Grotius à Balagny, puis à Senlis, en 1623, et de sa réapparition dans la même ville, en 1635, sont mémorables et connues.
Grotius avait expié par une sentence de détention à perpétuité, l'inflexibilité du dévouement à la cause des lois et de sa patrie. C'était sur le sol et grâce à l'hospitalité de la France, qu'il avait trouvé un refuge et la sécurité d'une protection souveraine, lorqu'il eut réussi à franchir l'enceinte de la forteresse de Louvenstein, grâce à un stratagème demeuré à tout jamais célèbre dans l'histoire des évasions ménagées au mari par l'ingénieuse complicité du coeur féminin. Geôliers et sentinelles avaient, par lassitude, après une première année de surveillance inquiète, cesser de visiter assidûment le vaste et pesant récipient en bois avec charnières, serrures et clés en fer, où prenaient place, pour pénétrer dans Louvenstein et pour en sortir après la lecture des in-folios si chers au captif. L'idée vint à la courageuse compagne de sa détention, de substituer aux livres, leur lecteur en personne. Le poids serait équivalent. Une bibliothèque vivante se trouverait avoir alors remplacé l'autre.
Le fugitif avait pu, après mille périls, arriver à Paris où l'attendaient, avec l'accueil le plus cordial de la part de l'élite des savants et des plus hauts personnages de la cour et de la ville, la sauvegarde et la bienveillance du monarque lui-même.
Au nombre des plus éminents protecteurs de l'exilé, et des plus empressés à honorer en lui l'infortune du génie, se rencontra de Mesme, le propriétaire de la terre de Balagny. Elle fut à la disposition de Grotius et de sa famille, dès le commencement de l'année 1623. "Il y passa le printemps et l'été. Ce fut dans ce château, ajouterai-je en continuant de citer textuellement ici de Burigny, qu'il commença le grand ouvrage qui, seul, aurait suffi pour rendre son nom immortel... Il avait avec lui sa famille et ses amis. Les plus illustres savants venaient quelquefois lui rendre visite, entre autres Saumaise et Rigaut. Il avait tous les livres qu'il pouvait désirer. François de Thou, fils du président qui avait hérité de la bibliothèque de son père, une des plus belles de ce temps-là, lui laissait l'entière disposition des livres. Grotius qui savait que le président de Mesme était très zélé catholique, eut l'intention de régler sa conduite de manière que le président n'eût point à regretter le plaisir qu'il lui avait fait de lui prêter sa maison." Grotius prend soin, en effet, dans sa correspondance, de rappeler que tous exercices religieux par des ministres du culte réformé furent suspendus, et que le service à table demeura sévèrement conforme aux prescriptions de l'église orthodoxe. Il passa le mois d'octobre de la même année dans Senlis même.
Douze ans après, l'auteur du Traité du Droit de la paix et de la guerre, à l'apogée de la renommée européenne et publiciste sans rival, reparaissait à Senlis. Le proscrit était devenu l'ambassadeur en France de la Suède, alors sous le gouvernement de Christine et du célèbre chancelier Oxenstierna. "Ce fut le duc de Mercoeur qui conduisit, le 6 mars, Grotius à la cour... Le nouvel ambassadeur fut très content de la réception qui lui fut faite. La garde du roi était sous les armes. Louis XIII parla beaucoup à Grotius, et avec tant de bonté, qu'il en conjectura qu'il finirait agréablement les affaires qui lui étaient confiées. Sa Majesté, ajoute le biographe, qui se borne du reste à continuer l'analyse de la correspondance de Grotius, lui fit comprendre par son air gracieux et par ses discours qu'on ne pouvait envoyer en France aucun ministre qui lui fît autant de plaisir. Il le fit couvrir et il redoubla ses politesses, lorsque Grotius lui présenta son fils Corneille."
Quelque modernes que soient les souvenirs que je viens d'évoquer, et quelque étrangers qu'ils puissent dès lors paraître aux travaux du Congrès, peut-être n'y seront-ils pas absolument déplacés.
L'hospitalité qui accueillit Grotius à Balagny et dans Senlis, fut un touchant et mémorable hommage à l'infortune et au génie. Elle n'honora pas moins la France et Louis XIII que l'illustre proscrit lui-même. Dans la ville où il recueillit un aussi éclatant témoignage de sympathie, une rémunération aussi providentiellement glorieuse de ses labeurs, de son savoir et de la vie pure et sans tache qu'il y associa, siège une assemblée non moins hospitalièrement accueillie, au sein de laquelle tout respect est acquis d'avance au nom et à la mémoire de l'érudit, du philologue par excellence et de l'historien des Provinces-Unies.
XLIV, SESSION, A SENLIS.
CONGRES ARCHÉOLOGIQUE DE FRANCE